burning like embers (elly)

sad, but endearingly so.

Elle est là. Cachée derrière des robes aux prix impossible, des foulards fait-main, des vestes toujours dans leur emballage. Un casque sur sa douce tête, les yeux fermés. Elle est là. Perdue au milieu de matières plus douces les unes que les autres. Elle sent monter en elle la douce délivrance. Les cris de soulagement. Les rires démoniaques. Elle le sent. Elle l’attend. Douce éphémère. Elle est là. De toute façon, elle ne peut aller nulle part. « Elly ? » Cette voix, elle la connait. Beaucoup trop bien. Cette voix qui a le pouvoir de la faire revenir. La belle gratte la porte de l’armoire. Et celle-ci s’ouvre. Juste un peu. Juste l’espace de quelques instants. Et une belle brune s’assoit face à elle. Un pantalon de soie les sépare. « You'll get use to it. ». Et Elly, elle hoche la tête. Parce qu’elle sait que sa grande soeur a toujours raison. Il ne pourrait en être autrement. C’est elle. Doucement, elle sent les vagues de sa colère diminuer. Seule Clémence parvint à la calmer. Sa soeur, son tout. Son univers. « Apparently, she's called Joanna. She's an architecture's student ». Elly fronce les sourcils. Elle ne veut pas entendre ça. Elle veut effacer les images. Elle sert les poings. « You're right. I've made some cookies, do you want some ? » Elly hoche la tête. Ne plus penser à ça. Ne plus penser à ça.


Ces souvenirs qui ne veulent pas s'en aller, malgré ses envies d'oublis. Ces souvenirs qui restent gravés, encrés à la cire chaude dans sa peau, à l'intérieur de son corps, au plus profond de sa mémoire. Ce jour où elle a tout perdu, ce jour où elle a tout abandonné. Tournant sur elle-même, la jeune femme sent la neige lui traverser tous les pores de son pauvre corps. Elle ne sait plus où elle en est. Elle essaie vainement de reprendre son souffle à travers cette vie qui l'étouffe, qui la meurtrit, qui la tire vers les abîmes de son cœur. Ses yeux se ferment sous la douleur, sous l'absence d'un souvenir flétri. Les crocs du froid de décembre lui mort les joues, les paumes, les épaules. Seul son torse couvert d'une robe de chambre ne sent pas la morsure de cette matière blanche. Comme chaque jour, elle ne peut s'empêcher de revivre ce jour où tout a changé, où son monde s’est écroulé. C'est plus facile pour ceux qui partent dit-on, mais Elly, elle n’est pas d’accord. Elle n’a jamais été d’accord avec rien de toute façon. Le souvenir de ses larmes gelées la transperce à nouveau, la faisant s'écrouler sur le tapis blanc du jardin qu'elle occupe. Elle aurait tant voulu la détester. Mais elle était la seule qu’elle n’ait jamais aimé. Elle suffoque, s'étouffe. Sa chair, son sang. Et elle hurle à s'en déchirer les cordes vocales. Ces souvenirs destructeurs qui lui retournent les tripes chaque jour depuis maintenant deux mois. Des jours de souffrance, de regrets, de tristesse, de haine. De peur. Ces souvenirs qui la bouffent littéralement. Elle voudrait oublier la belle innocente. Mais elle ne peut pas. Alors elle vit, encore, toujours, pour elle. Pour elles. Et elle repense à celle qui lui a apprit à oublier leurs géniteurs, qui lui a montré le trou dans la palissade pour aller faire la fête chaque nuit, sans un mot, sans un regard. Clémence. Elle est là et pourtant elle ne la verra plus. Elle avait tout, un amant, une vie parfaite. Elle était l’aînée, la surdouée, celle sur qui tout le monde se retournait, celle sur qui tout le monde misait. Elle n’était pas Elly. Oh non. Elly, c’est la ratée, celle dont personne n’est sûr de la paternité, qui ne ressemble à aucune autre. Pourtant, c’est Elly qui vit. Et c’est Clémence qui baigne dans son propre sang. Elle avait treize ans. Elly était à peine entrée dans l’adolescence qu’elle perdait sa soeur. Si elle mit longtemps à s’en remettre, elle en sortit changée. Avant, elle était Elly, la jeune gamine un peu étrange à qui personne ne parlait vraiment, la fille timide, taiseuse, éblouie par son aînée, la suivant partout comme son ombre. Maintenant, Elly est la jeune femme téméraire, intrépide, blasée et révoltée dont personne ne s’approche. Qui s’est perdue dans son propre trouble psychologique. « You're suck a freak. » Perdue dans les néants de son propre univers. Qui hurle, qui crie lorsqu’elle est contrariée. « I swear. I'll kill you all ! » Une brèche a été ouverte. Elle a oublié d’écrire son destin, de regarder au lendemain. Elle vit au jour le jour, apeurée de voir sa vie flétrir entre ses mains. Détachée du monde. Elle en oublie ses propres mots. Elle parle avec son corps la belle ravagée. Son corps criblé d’encre noir comme la nuit, percée de boules dorées. A seize ans, elle a découvert les plaisirs voluptés de corps enchainés. Sa mère fuit aux bras de ses amants sur les longs tapis rouges de Canne, son père s’oublie dans son boulot et entre les jambes de ses assistantes. Et Elly, elle vogue de jambes en jambes, de clubs mal-famés aux soirées déguisés, des bouteilles trop fortes aux poudres trop blanches. Elle n’a aucun respect pour rien. Elly se détruit, s’efface dans un monde trop grand, trop noir, trop absurde pour elle. « Hope you're proud. »


Un froid soleil s’est levé sur l’existence de la blonde. Emmitouflée dans des fringues trop larges, elle parcourt les rues, court un peu trop vite, marche un peu trop lentement. Une Black Devil pendue à son doigt, Elly pénètre dans un hall aux murs immaculés. Déjà, elle s’imagine taguer ces énormes planches. Peut-être. Un soir. Mais aujourd’hui, elle a autre chose. « Elly! » Secouant sa lourde chevelure emmêlée, elle relève la tête. Son paternel. Honneur. « It’s my big night. What are you doing? » Et Elly, elle sourit. Certes, inauguration de son nouvel immeuble au Grand St-John. Tenue de soirée exigée. Mais elle, elle s’en fout. Elle l’aime bien son énorme sweat. Et elle est sûr qu’il adore ses bas résilles troués. Et le voilà qu’il grogne dans sa barbe. Elly jette un oeil à son nouvel IPhone. Encore une soirée qu’elle rate pour le paraître. « Don’t care. » Bientôt, elle se retrouve entourée du haut gratin de San Diego. Bonheur. Depuis longtemps Elly, elle n’est plus respectable. Personne ne la regarde, les yeux se détournent, les têtes se lèvent. Elle est tombée bien bas. Et pourtant, elle s’en fout. Elle s’en fout parce qu’elle ne vit que pour elle. Et la coke. Sous ses lourds cils noirs, elle regarde le monde danser, assise sur un tabouret rouge, elle compte les minutes qui la sépare d’une bonne bouteille de Jack. Personne ne fait attention à elle, personne ne lui parle. Pourtant, tous l’ont remarqué. La fille aux bas rayés, aux épaules nues et au ronge à lèvres sang. Elle regarde le monde danser. Sa Black Devil toujours pendue entre ses doigts.


Etendue sur le ventre, les bras dans le vide, le dos nu, Elly chantonne. L’un des rares endroits où elle se sent bien. Ses doigts font défiler les innombrables photos de son instagram. Toutes les mêmes. Rich kids. Penchée au dessus d’elle, une blonde fait courir son aiguille entre ses omoplates. « Everything’s ok? ». Elly aime cette douleur sourde. Ce bourdonnement qui remonte le long de sa colonne vertébrale. L’encre qui s’imprime à jamais sur sa peau trop blanche. « Yeah. » C’est la deuxième fois qu’elle se rend dans ce salon. Un peu plus clean que les précédents. La belle blonde qui s’occupe d’elle lui plait bien. Elly ne la connait pas. Un prénom, rien d’autre. Mais la beauté de ses dessins l’a subjuguée. Et doucement, son tatouage prend forme. Encore quelque chose qui déshonore la famille St-John. Leur avis ? Aussi important que son dernier petit déjeuner. Inexistant aussi. Une notification apparaît sur son écran. Une soirée. La belle éphémère sourit. Fêter ce nouvel encre sur sa peau, une bonne raison de boire. Ou de fumer. Ou les deux.

Et là voilà, quelques heures plus tard, son paquet de Black Devil en main, son portable dans l’autre, parcourir les fauteuils et les tables remplies d’alcool. Encore un peu plus. Toujours plus. Elle sait que tout ceux qu’elle connait depuis tant d’années sont présents. Ils n’ont plus besoin de se contacter. Ils savent. Plus loin, une tignasse noire est appuyée contre un mur. Elly sourit. Chope deux verres et se dirigent vers elle. « Hi. A little shot? » Le petit nouveau de la bande la regarde dans les yeux. « Eum, no? » Les yeux déjà trop rouges, la blonde éclate de rire. « Yeah, sure. Take them baby. Or I swear I’ll attach you to this beam » Un sourcil qui se relève. Et Eliott lui arracha les verres des mains. Et Elly, elle est contente. Elle l’aime bien. Il lui rappelle sa soeur. Ils sont pareils. Un peu trop gentils pour ce monde de brutes, un peu trop naïfs pour leur propre bien. A côté d’eux, un type type surfeur leur propose un petit sachet. Pour la discrétion, il repassera. Elly sourit. Et la coke finit dans sa poche arrière. « Is it… » Elle l’avait presque oublié. « Nop. Never. You gotta run me over. See you. » Un dernier sourire, et la belle s’échappe. La mort aux trousses. Elle ne s’attarde pas. Jamais. Elle a la bougeotte. Besoin de s’évader, de trouver toujours mieux.


L’air emmêle ses cheveux blonds plus encore. Il y a longtemps qu’elle a oublié l’utilité d’une brosse. Autre chose à faire. Assise sur un balcon, les pieds dans le vide, Elly recrache une bouffée de fumée. Volutes dans la nuit. La tête rejetée en arrière, elle sourit aux étoiles infinies. A ses côtés, il roule soigneusement leur herbe. Elle se penche en avant, les lumières sont minuscules. La vie tourne à vive allure. Elle est bien. Elle pense à Clémence. Elle avance de quelques centimètres, et elle fait comme elle. La seule chose qu’elle n’a pas encore copié à sa soeur. Mais à la place, elle rit. « What’s funny ? » « Everything. » Et il sourit. Eli. Il sont malsains. Elle le sait, et elle aime ça, Elly. Ce côté pas net, pas clean du tout qui les unit. Trop d’excès. Trop de tout. Mais elle apprécie un peu trop ça. Toujours plus fort, toujours plus loin. Effleurer du doigt l’impossible. Effleurer de la main le non retour. Elly redescend de son balcon, ses pieds retouchant terre ferme. Et le vent qui souffle toujours un peu plus. Une gorgée de sa bouteille favorite, un sourire à son compagnon d’un soir. Ou deux. Ou trois. Doucement, elle se met à tourner sur elle-même. Et ça monte, toujours plus. Les yeux fermés, la bouche ouverte, elle sourit à la ville. Et ils repartent dans leur tournée infernale. Une Black Devil partagée, une bouteille qui s’épuise, un rail de coke. Deux mains qui se cherchent. Deux bouches qui s’effleurent. Une nouvelle nuit de débauche. C’est mal. C’est bon. Rien n’a plus d’importance.


Le jour se lève à peine. Ou peut-être pas. La notion du temps, elle ne l’a pas Elly. A quoi bon, elle n’a besoin de rendre de compte à personne. Assise à une table, elle observe Jem, affairé derrière son comptoir. De deux ans son aîné, Elly n’a appris à réellement le connaître que depuis jours. Ou semaines. Qu’importe. Ils ont toujours traîné ensemble. Dans la même bande. Et puis, il est parti. Et ça n’a fait ni chaud ni froid à la belle. Une sorte de soulagement au final. Se coltiner quelqu’un qu’elle n’appréciait pas, ce n’était pas sa tasse de thé. Elle le trouvait bizarre. Pas comme elle. Et aujourd’hui, elle vient le retrouver tous les matins. Ou midi. Peu importe. Quand la drogue quitte doucement son corps trop maigre, qu’elle reprend contact avec la réalité. Il est là, dans son café. Et étrangement, ce fut sa fuite le salut. Elly ne pourrait plus dire exactement pourquoi elle ne le supportait pas. Un fait. Mais aujourd’hui, ils sont proches les deux kids. Et elle se sent bien avec lui. A boire un café. Dans le silence. « Rude alarm clock? » Un grognement. « You have no idea. » Ou peut-être que si. Surement d’ailleurs. Dans exactement sept minutes, la blonde doit être à son boulot. Boulot. Un mot qui sonne encore étrangement à ses oreilles. Et comme chaque matin, c’est le retard qui l’emporte. Peut-être qu’au fond d’elle, elle n’attend qu’une chose. Qu’il s’énerve. Beaucoup. Qu’il déclare la guerre. Ou qu’il la remarque, tout simplement. Mais non, le patriarche préfère sauter ses douces écolières. Elly se lève. « See you tonight. » Quelque chose chez Cora. Ou un truc du genre.


Cora’s house
Elly, assise par terre, essaie de comprendre comment un tour de magie. Vu son état, c’est peine perdue. Un nouveau soir de débauche. As usual. Et elle s’emmerde. Et avoir vu l’autre imbécile de Nina n’a pas tout arrangé. Poussant un profond soupire, elle s’étale sur le dos. Et se dit qu’ils devraient être un peu plus sélectif dans leur invitation. Un second soupire, et là voilà sur pied. Elle n’a plus croisé les siens depuis quelques heures. Ou quelques minutes ? Peu importe. Elly se dirige vers l’arrière de la maison. Cette maison qu’elle connait par coeur. Elle s’apprête à ouvrir la cuisine. Un peu d’eau sur son visage trop chaud ne lui ferait pas de mal. Deux inconnus en sortent. Un peu trop déshabillés. « Cheers ! » Sourire en coin. En voilà deux qui ont au moins passé du bon temps. Quelques instants plus tard elle ressort de cette pièce, au parfum d’une douce étreinte. Ses yeux rivés sur son portable, elle voit un nouveau post d’il y a plusieurs heures sur les réseaux sociaux. Un magnifique cliché d’elle. Les yeux rouges, le nez poudreux. Un sourire trop fake. Son image ? Elle s’en fout. Sauf lorsqu’elle est véhiculé par sa grande amie. Miss N. « Bitch. » Elle compte bien lui dire sa façon de penser. Un deuxième rail. Ou troisième ? Elle hausse les épaules et monte les escaliers. Eli et Jem se tiennent un peu plus loin. « Guys, did you see Nina ? Have two words for her. » « Yeaa, you may not have this opportunity. » Froncement de sourcils. Et la blonde hausse une nouvelle fois les épaules. Trop défoncée pour comprendre l’implication de cette phrase. Et Elly repart dans la salon. Où la musique est encore plus forte que d’habitude. Les gens dansent. Boivent. Vivent. « Hé! Elly, look! Really nice picture of you » « Shut up. » Cette photo ne la lâchera pas de ci tôt. « Impatient to see your face-to-face with her. You saw her? » Elly secoue la tête, tout en avalant un énième verre de champagne. Ou de bière. De toute façon, tout à le même goût maintenant. « A real jug. She loved drama too much, even for her way out. »